L’empereur Elagabal aimait les courses des chars.

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Au fait, il aimait aussi des choses qu’il ne serait pas convenables de relater ici et que vous pourrez retrouver dans le livre, fort convenable, lui, d’Artaud. Elagabal avait un cirque, le cirque Variano.

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On est d’accord, le cirque romain correspondait à notre hippodrome. Au milieu de son cirque il y avait un obélisque. Ceci est l’histoire de l’obélisque, et c’est une histoire avec une surprise à la fin.

Exit Elagabal, parce qu’ assassiné à dix-neuf ans ; exit l’empire romain, mort de sa belle mort à 723 ans ; l’obélisque, lui, restait toujours debout. Jusqu’ à ce qu’un roi ostrogot, Totila, barbare de nom et de fait, a trouvé plaisant de l’abattre. Plus tard les Barberini en achetèrent les morceaux, pour les remonter dans leur jardin, et Bernini lui conçut un joli éléphant comme soubassement.

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Je sais, vous l’avez vu dans une place de Rome, alla Minerva, mais ce n’est ni mon obélisque ni mon éléphant. Oui, c’est vrai, c’est une histoire longue, compliquée et sans un grand intérêt. Je la comprends seulement parce que j’ai l’habitude de suivre les raisonnements de ma mère, alors je suis entrainé. En tout cas, la chose ne se fit pas et l’obélisque resta couché. Costanza Barberini, femme pieuse mais dépourvue d’un quelconque gout pour les obélisques, l’a offert au pape Benoit XIV. Justement le pape avait une base qui trainait, celle de la Colonne Antonine, puisque la colonne n’existe plus. Sitôt dit, sitôt fait, on décida de monter l’obélisque sur la base de la Colonne Antonine et de dresser le tout au milieu de la Cour de la Pomme de pin du Vatican.

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Grand, sur sa base antique, il aurait eu fière allure, surement mieux que la sphère de Pomodoro qui s’y trouve aujourd’hui. Mais ça non plus ça ne se fit, et l’obélisque resta grand et horizontal, exactement comme certaines dames qui fréquentaient autrefois Chez Maxim’s et qu’on appelait, à cause de leur position professionnelle, les grandes horizontales. Bref, finalement il fut monté au Pincio, la promenade élégante des romains au XIXème siècle, où il est toujours côtoyé par les amoureux et les enfants.

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Evidemment, des hiéroglyphes gravés sur ses faces on ne comprenait rien, jusqu’ à Champollion. Et même après, parce que c’est un obélisque romain, et le texte n’a pas été fourni par un savant scribe égyptien, mais par un romain qui avait juste du passer les vacances à Sharm el Shceikh et ne savait pas trop ce qu’il écrivait. Bref, seulement à la fin du XIXème siècle on a réussi à y comprendre quelque chose et…on a découvert le nom d’ Antinoüs.

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L’inscription disait qu’il se trouvait dans la villa du maître du monde. Et oui, ce n’était pas du tout l’obélisque d’Elagabal. Bien avant lui, cet obélisque avait été commandé par l’empereur Hadrien pour commémorer le garçon dont il été amoureux.

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Antinoüs est mort à vingt ans tragiquement, noyé dans le Nile – suicide ? meurtre ? on n’a jamais su – et il faut lire les pages écrites par Marguerite Yourcenar pour comprendre la douleur déchirante d’Hadrien, tout puissant et anéanti. Même à l’époque l’histoire fit scandale. Par la suite, Caracalla ou Elagabal prirent l’obélisque de la villa d’Hadrien à Tivoli pour le transporter dans le circo Variano à Rome. Voilà que pendant tant de siècles la vraie histoire de l’obélisque, celle d’un amour tragique, était restée cachée. Désormais on savait que quelque part dans la villa d’Hadrien il y avait eu un monument consacré à Antinous. Mais où? C’était la fin du XIXème siècle.

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En 2002 le monument a été retrouvé. C’était un sanctuaire avec deux temples dédiés à la mémoire du garçon divinisé. Au milieu, trônait l’obélisque. Il se trouvait juste à l’entrée de la villa, afin que tous ceux qui arrivaient puissent se souvenir de lui.
Epilogue : je promenais mon neveu de dix ans à la villa Borghèse et nous sommes passés devant l’obélisque. Je lui ai parlé des courses de char d’Elagabal, du roi barbare, des siècles d’oubli et j’ai fini avec Antinoüs. Sans insister mais aussi sans mentir. Mon neveu, qui est un enfant de nos temps, a regardé l’obélisque et m’a dit « Tonton, mais pourquoi ce monsieur l’a détruit, parce qu’il était un barbare ? »
Vous comprenez, sur l’amour gay d’Hadrien il n’a pas fait un pli, mais les monuments ne se touchent pas, ils sont des textes du passé et ils appartiennent à tous. Si non, t’es un barbare. Voyez-vous, je suis très fier de mon neveu.