Chez une princesse on s’attend de trouver des chinois. Des turques. Même des singes qu’imitent les hommes. Pas des Algonquins. Et pourtant Costanza Cornelia Barberini avait un salon de compagnie dont les murs sont toujours tendus de tissus de soie peints avec la vie des indiens de la Caroline du Nord.
L’âge des Chinoiseries et de Singeries, qui est aussi ce du Rocaille, était révolu. Désormais, dans les salons parisiens il n’est plus question que de Rousseau, qui prône le model de l’homme primitif, aux mœurs simples et innocents, le Bon Sauvage. Et même à Rome, après 1750, quand l’appartement Barberini est décoré, les murs se couvrent avec des scènes qui n’ont plus rien à voir avec l’ailleurs imaginaire et fantasque des chinois de Christophe Huet. Les Algonquins de Cornelia sont fideles à la réalité, la description des leurs villages, les rites, les costumes, tout est rigoureux et conforme à la vérité.
L’histoire a remplacé la rêverie. Je veux dire par là que plusieurs éléments dans cet appartement – comme, par exemple, les médaillons en stuc blanc de la chambre – annoncent l’âge nouveau et le glissement vers le Néoclassicisme.
La petite galerie reste l’espace le plus proprement, délicieusement rococo. Sur les murs est représentée une nature délirante, qui mêle les roseaux à des plantes fantasques et à des « agrafes », qui rappellent des coquillages.
Le vrai jardin des Barberini, dehors, semble envahir l’intérieur, où il subit une métamorphose. : la nature de botanistes devient celle des contes de fées. Pas une seule ligne droite, mais des formes galbées qui s’enchevêtrent, sans savoir où se trouvent le début et la fin. Les couleurs saturées ne sont jamais celles de la réalité, mais celles d’un monde plus gai et heureux, celui de la fantaisie. Un immense miroir placé devant la fenêtre agrandie l’espace e contribue à l’impression d’un lieu illusoire.
Bref, plus besoin d’aller chercher le bonheur dans l’éthique ou la religion, le bonheur est ici, le paradis est sur terre. L’âme sera pour tout à l’heure, pour le moment, l’homme suffit. L’univers Rococo ignore la Beauté, qui obéit à des règles dictées par les ancêtres, et la remplace par la grâce, qui est coquine, légère, insouciante. Ah, j’oubliais : au contraire de la Beauté, la grace ne passe pas par le cerveau. C’est ça le rêve éphémère de ce style heureux, que l’homme puisse se libérer à la fois des contraintes de la matière et de la métaphysique. Qu’il puisse profiter de l’instant présent dans un bonheur qui ne se souvient plus du passé et ne soucie pas du futur. Au juste, nous disions légèreté, insouciance, jouissance de l’instant présent, indifférence à la métaphysique…ça ne vous rappelle pas de très prés…la jeunesse ? Allez vous étonner que j’aime le Rococo. Faites un tour dans l’appartement de Costanza Cornelia Barberini, peut être vous n’en sortirez pas plus jeunes, mais surement plus heureux.