Un précieux chef d’œuvre de l’art du portrait classique. Ce qui est fini et fragile chez les hommes, comme les émotions, devra céder la place à ordre et élégance.

Les touristes ignares regardent ce palais avec admiration et stupeur. Les stucs des empereurs en façade et ceux des 12 dieux dans la cour, ainsi que des magnifiques frises décoratives, affichent déjà à l’extérieur le statut de connaisseur et ami de l’art antique de son propriétaire. Nous sommes à Rome, bien sûr, il s’agit d’un cardinal. Ne vous faites pas impressionner par la police à l’entrée, qui s’explique par la présence dans le palais Spada du Conseil d’Etat. Et ne vous arrêtez pas, le nez collé contre la vitre, pour essayer d’apercevoir la célèbre perspective de Borromini. Vous pouvez rentrer dans le palais.

Ici, exactement dans les quatre salles où se trouvaient il y a quatre siècles, sont toujours exposées les œuvres magnifiques collectionnées par le cardinal Bernardino Spada, qui racheta le palais au XVIIème siècle. C’est lui qui nous reçoit dans la première salle, peint par Guido Reni.

Il était de grand famille, aimable, habile et beau, par-dessus. Je le soupçonne d’avoir été un tantinet pédant, avec sa correspondance scrupuleusement classée à l’arrière plan. Reni a représenté Bernardino quand il était légat du pape, c’est-à-dire son représentant, à Bologne. Il est en train d’écrire au somme pontife quand il s’arrête pour nous regarder. Le format très grand, le contexte qui exprime ses hautes fonctions, le rideau qui le magnifie, tout dit qu’il s’agit ici d’un tableau officiel, de parade.

Guido Reni remplace la pourpre, couleur du sang que les cardinaux sont prêts à verser pour l’Eglise, avec une rose moins éclatant mais plus précieux. La palette restreinte contribue à l’élégance suprême de ce portrait. Que du rose et du blanc, couleurs qui s’assombrissent quand ils ont le malheur de s’éloigner du cardinal, à l’arrière plan. Vous aurez aussi remarqué combien c’est souhaitable, pour un cardinal habillé de rose, d’avoir les yeux bleu.

Quand au visage, il nous regarde apollinien e auguste, mais jamais vous pourrez y déceler ces mouvements risibles de l’âme qu’on appelle emotions. Ne cherchez pas en profondeur, dans cette œuvre, parce que les abimes n’intéressent pas Guido Reni. La perfection du dessin, qui a si bien été étudiée sur Raphael, la préciosité de la palette, la justesse de la pose, tout ça suffit amplement, sans s’encombrer de ce que des gens indiscrets, quelque siècle après, appelleront psychologie et qui ne sied pas à un si grand seigneur. J’aime beaucoup ce portrait, parce que le classicisme de Reni réussit à créer ici un monde supérieur, d’ordre et d’élégance, où la beauté remplace les sentiments.

Ce n’est pas mon monde mais, comme Groucho Marx, moi aussi j’ai des opinions que je ne partage pas.