Une statue étonnante et controversée de Bernin, dans un cadre exceptionnel.

J’ai eu l’impression d’avoir ouvert la porte d’une chambre au mauvais moment. Voilà la reaction  d’Aldous Huxley quand il vit la Sainte Therese de Bernin la première fois.

Dans la chapelle funéraire du cardinal Cornaro, Bernini  répresente Sainte Therese d’Avila en proie à une de ses célèbres visions.  Un ange la transportait dans le ciel et lui transperçait le cœur avec une flèche enflammée. Quand il la retirait, écrit la sainte, c’était comme si on lui arrachait les entrailles. Mais au même temps elle était envahie par un grand amour de dieu.

La parcelle  de la chapelle est malheureuse, haute et peu profonde, au point que Bernin dût rajouter une extension supplémentaire à l’arrière. Comme dans les loges d’un théatre,  les membres de la famille Cornaro discutent de la vision de la sainte. Cette dernière est placée par Bernin dans  une édicule saillante avec un fronton convèxe, à symboliser un espace qui sort et se demarque du monde réel, celui même où se trouvent les Cornaro.   Les colonnes en breccia, un marbre vert,  contribuent, en créant  une rupture cromatique avec le reste de la chapelle, à souligner la dimension visionaire de l’apparition.  Autour de l’édicule, deux panneaux en albâtre, retravaillés par Bernin afin que les nervures evoquent  de snuages, nous rappellent que la scène  se passe dans le ciel.

L’ange et la sainte ont été sculptés dans un seul bloque de marbre de carrare. Au premier plan, son pied nu, attribut propre  d’une carmelité dechaussée. La tête renversée, la bouche entrouverte, les narines dilatées, tout parle dans cette statue d’un bouleversement du corps, engendré par l’experiènce mystique. Jusqu’au drapé,  qui bouillonne, sans rapport avec l’anatomie en dessous. Les plis  sont la matérialisation du ravissement de l’âme. Chez Bernin spirituel et réel sont  intimement imbriqués, esprit et matière ne se contredisent plus.  Bernin est profondément classique dans cela : le corps, dans œuvre, devient le théatre de la manifestation du divin.  Cette idée décline dans un sens baroque, et chrétien,  le modèle antique du beau idéal.

Depuis sa création la statue de Bernin a été perçue comme equivoque. Cette souffrance qui engendrait une grande joie semblait bien physique et, disons –le, erotique. Le Président de Brosse, champion d’un dixhuitième  siècle libertin,  iconoclaste et positiviste, dira «  si ceci est l’amour de Dieu, j’ en  connait des maintes exemples ici sur terre ».

Et portant, tout a été étudié par Bernin pour donner l’impression d’une experièence qui depasse la dimension physique. L’éclairage provient d’une fenêtre cachée derrière le fronton, de la sorte qu’on en voit l’effet… sans en voir la cause. C’est la lumière divine, qui part du ciel, où les anges ont écarté les nuages, rebondit sur le rayons de stuc dorés et frappe la sainte. Aujourd’hui l’éclairage electrique ainsi que le terrible vitrail moderne au dessus, qui remplace une ancienne vitre jaune, faussent l’effet conçu par Bernin.

Les marbres sont un sujet important, à Rome. Avant de sortir n’oubliez pas de vous arrêter devant la chapelle de la Trinité, celle juste après la chapelle Cornaro. Sous le retable du Guerchin se trouve une frise de lapislazuli et agate et en dessous un extarordinaire antependium marqueté de marbres precieux, tous antiques.

Pour terminer, un conseil pour les parisiens. Allez a Saint Joseph de Carmes et vous y trouverez…la même chapelle, réalisée à imitation de celle de Rome. La statue de la Vierge à l’enfant fut sculpté par un collaborateur de Bernin, Raggi, sans doute sur un dessin du grand maître.