Si vous aimez le Baroque, ne ratez pas cette occasion. Si vous ne l’aimez pas, allez y quand même. Ca vous permettra… de vous connaître mieux. Et je m’explique à l’aide de deux exemples. J’ai choisi les deux tableaux les plus beaux de l’exposition: Saint Sébastien soigné par les anges, de Rubens et Atalante et Hyppomène de Guido Reni.

Normalement  Saint Sébastien est soigné par Sainte Irène, mais celle-ci devait sans doute présenter aux yeux de Rubens le défaut d’être…trop grande. Pour que la présence physique du saint soit monumentale, entre Michelange et le model antique, il faut que ce qui l’entoure soit petit. Et voilà que Sainte Irène – avec la complicité de la Légende Dorée – se transforme dans une nuée d’anges. Ils s’affairent, aériens et en raccourci, autour de Sébastien, qui est lourd et frontal. La position de ses bras, sans vie, rappelle celle d’une Descente de Croix, en fusionnant  ainsi l’iconographie de Sébastien avec celle du Christ.

Au lieu de l’habituelle myriade de flèches, le saint n’en affiche que deux, pour ne pas gâcher la beauté du nu. Un  nu magnifique, avec les ombres bleutées, les touches de rouge sur les genoux, les muscles turgescents mais la tête abandonnée sur la poitrine. Ses boucles  blondes ne vous etonnent pas ? Où Rubens a-t-il trouvé un tel prétorien romain ? Il ne s’encombre pas de la vraisemblance historique, qu’il s’agisse du saint ou de son armure, empruntée à Titien et pas à La Rome antique. Ce qu’il veut est une beauté qui trouble et confond de plaisir. Et si tant de chairs couleur ivoire risquent de s’empâter, ce n’est pas grave, il ajoute un drapé rouge et tout s’anime de nouveau à merveille.

Bref, Rubens est érudit dans la double iconographie Sébastien/Christ; pendant ses années italiennes il a bien reçu la leçon de l’art antique et de la Renaissance, même si ce cette dernière il la métabolise avec les enzymes du Maniérisme. Mais surtout il est Rubens, grand chantre de la jouissance. Jouissance de ce qu’on voit, jouissance des chairs et du plaisir qu’elles engendrent, et surtout jouissance de la peinture, qui vit dans le tableau sans s’inquiéter d’imiter ou d’expliquer le monde.

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Aux antipodes de Rubens se situe l’Atalante et Hyppomène de Guido Reni, figés à jamais dans leur ballet glacial. Contre un fond sombre se découpent les deux megalographiae des personnages. En équilibre précaire et eternel sur une jambe, les deux autres se croisent dans le motif en X qui représente le centre de la toile.  La palette est restreinte, juste animée par le bleu et le rose des drapés, arabesques abstraits, précieux et gratuits parce que impensables comme vêtements.  Il n’y a pas de nature ici, il n’y a que l’artifice ; pas de vérité, mais du théâtre ; pas de sensualité mais une esthétique algide et supérieure aux désirs des hommes.  L’Idée, déesse suprême des italiens, ignore l’être physique des figures, qui sont ici des statues. Ce tableau est un manifeste du courant classicisant du Baroque.

J’ai choisi ces deux tableaux parce qu’ils me semblent représenter les deux pôles entre lesquels se situent le Baroque et les œuvres de cette exposition. D’une côté un art de totale liberté et sensualité, dont Bernin est le protagoniste dans la sculpture. De l’autre, une distillation du monde dans des formes idéales, plus nobles qu’en nature, un art qui ne ressuscite pas l’Antique, comme l’avait fait la Renaissance, mais en fait un idéal poignant et perdu.

Allez voir l’exposition du Baroque et si vous trouvé ça un peu ennuyeux , comme moi, ça voudra dire que vous aussi avez du mal à vous contenter du plaisir et à vous abandonner à l’idéal.