Je sais, vous allez au Palazzo Barberini pour voir la voute peinte par Pietro da Cortona.  4_Pietro-da-Cortona-Trionfo-della-Divina-ProvvidenzaMais là c’est le Seicento, l’âge du pape de la famille, Urbain VIII, et de l’apogé de leur pouvoir. L’interminable enfilade d’immenses salons, où régnait un froid glacial,  parle d’une étiquette inexorable, qui faisait de l’homme un monument, indifférent aux besoins du corps. Montez d’un étage, et le monde change.

En 1728 Cornelia Costanza Barberini n’a que 12 ans et elle est la dernière de cette illustre dynastie. Elle épouse un Colonna et, dès  que leur finances le permettent, entre 1750 et 1770, ils se font emménager des nouveaux appartements au deuxième étage de l’aile droite du palais. C’est l’aile sud, celle au chaud.

Sala con cappella

Ces appartements sont entresolés, les pièces sont petites et souvent dotées de cheminées. A l’homme-monument on a substitué l’individu, la grandeur de la caste a cédé aux  besoins de la personne, le confort remplace la grandeur. Le mot qui s’impose n’est plus devoir, mais plaisir. Cette nouvelle approche s’exprime dans un style né en France, où il portait le nom de  Rocaille. A Rome on parle de Rococo.

Aujourd’hui on fait la visite à l’envers, en commençant par la fin de l’appartement. Ainsi vous avez l’impression que les invités montaient par le grand escalier de Bernini. Scala BerniMais regardez bien, c’est impossible. Quand Bernini construit cet escalier, réservé à la branche séculière de la famille ( nous sommes à Rome, dans les palais de 300 pièces habitent le prince et son frère, le membre plus important de la famille, le cardinal), au deuxième étage il y avait des appartements privés ou de service. Comme aucun invité ne devait y monter, la dernière volée de marches est dépourvue de décoration. Les invités de Costanza Barberini auraient dû monter par là ? Pas question. Scala BorroIls montaient par l’autre extrémité de l’appartement, par l’extraordinaire escalier hélicoïdal, dessiné par Borromini et qui au Seicento était justement réservé au cardinal de la famille.

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Aujourd’hui vous commencez la visite par la salle à manger. Il s’agit bien, là, d’une invention du Settecento, car au siècle précédent il n’y a pas de pièce destinée aux repas, la table est volante, souvent montée dans une antichambre. La spécialisation des pièces va avec la spécialisation de l’art de vivre, qui est une conquête du XVIII siècle.

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Dans une salle à manger il n’y a jamais des tissus ou des tapisseries, sur les parois, car ils risqueraient de s’imprégner des odeurs. Il y a des boiseries. Mais ici nous sommes à Rome et les boiseries sont feintes, simulées par des fresques.

Les cadres sont chantournés, absence total d’ordres classiques (c’est-à-dire qu’il n’y a ni colonnes ni piliers, le passé est oublié. A Rome ! Vous voyez la portée révolutionnaire de ce style),   la souplesse remplace la raideur, au point que les angles sont masqués par des encoignures. EncoignureChose rare, l’encoignure garde encore ses étagères, comme c’était toujours le cas à l’époque. Les encoignures pivotent, en découvrant derrière des espaces pour le débarras du service. On est princes, mais pourquoi renoncer à ses commodités ?

AlcovaDans l’alcôve peuvent s’installer des musiciens ou des lecteurs pour entretenir les maîtres pendant leurs repas. Ici la dernière des Barberini, Maria, a consommé ses repas et ses souvenirs jusqu’à 1955. Alors, a sa mort, l’Etat s’est emparé de ces espaces.

Vous pouvez les visiter du mardi au samedi à 11h30, sans majoration de prix par rapport au ticket du musée. La jeune étudiante qui vous guide a tous les atours de la jeunesse mais ses connaissances en matière d’art du XVIII siècle sont fort susceptibles d’être améliorées. J’ai donc pensé y remédier en consacrant plusieurs articles à cet appartement. Comme ça, si vous y allez, vous pourrez profiter au même temps des charmes de la jeune guide et du savoir du conférencier…comment dire… expérimenté.  Me voici devenu le Cyrano du Rococo : elle prêtera le visage et moi la voix. En réalité, en parlant de ces appartements, vous le verrez, je veux parler de légèreté. Qui est un des dons sublimes, et caducs, de la jeunesse.